(told me you were leaving)Adénite.
Adénite… Inflammation des ganglions lymphatiques.Protéase.
Protéase… Enzyme qui décompose les protéines.Enfant-brillant, enfant-soleil, l’aîné Thain avait une mémoire remarquable. Il faisait la fierté de parents rougissants, qui disaient :
« c’est notre enfant » avec une lèvre inférieure légèrement entrouverte, comme pour en laisser échapper le soupir de contentement. Micah n’était pas l’intellectuel mal-apprécié de ses pairs – au contraire, il faisait preuve d’une popularité étonnante, malgré un ratio de prospects académiques inversement élevé. A l’université de Sydney, les examens étaient un jeu. Une suite de questions redondantes, sur des thèmes appris sur le bout des lèvres. Il excellait – tout simplement car il aimait ce qu’il faisait, et que la passion des choses donnaient au cœur des poussées d’enthousiasme paroxysmales. Journées de réflexion, d'étude - et nuits passées à faire les beaux yeux à des jeunes femmes étourdies. Une douce torpeur de jeunesse qui s’étendait, sans jamais que le souffle de plaisir n’en disparaisse. Le monde était une petite chambre dorée, où les fous rires résonnent à l’unisson avec les embrassades du quotidien. Il revenait tous les trois mois, apportait des cadeaux et des histoires à sa famille. Passait sa main dans les cheveux de son petit frère, qui avait déjà l'âge de s'en rebeller et de jeter des regards faussement irrités par une telle attention. Un rythme rassurant et délicat s'était instauré, et Micah en était presque tombé amoureux.
La poésie des jours qui s'enchaînaient était une oeuvre d'art en soi. Micah était heureux - jusqu'ici, il n'y avait que cela.
Pyrexie... État fébrile.
Sclère... Enveloppe de l'oeil.Il était à Londres, quand son frère a succombé à un œdème cérébral dans d’atroces souffrances.
Micah n’était pas là, pour voir son expression absente, ses années non-vécues, et n’entendrait pas ses rauques paroles, avant de s’éteindre. Yeux fermés, il n’osait pas accepter une vérité implacable. Une souffrance ineffable s’était logée au creux de son ventre, et, comme une vague, elle prenait des proportions gargantuesques, pour finalement envelopper son corps tout entier. Il n’était que pensées troubles, que douleurs infinies, où il n’y avait ni fond ni sortie. Micah Thain était un gouffre. La nuit, il avait ouvert ses manuels médicaux, scanné chaque page avec minutie maladive. Chaque symptôme, chaque conséquence, chaque once d’effets pathogènes – il les connaissait tous. Il pleurait sur ses livres, attendant de prendre l’avion, le lendemain. Mais cette journée semblait si loin, encore, et l’air était pesant, comme un coup de poing dans la poitrine.
Le reste des heures perdues passèrent, parfumées du doux air de regret. Et s’il avait été présent ? Et s’il avait fait attention ? Et s’il était resté en Australie ? Et s’il pouvait remonter le temps ? Les « si », les « peut-être » - il manqua de vomir plusieurs fois, l’esprit embourbé par des pensées malades. Son propre cœur à lui, son myocarde battant à 74/minute – détruit, cassé en morceaux. Un petit air froid s’insinuant dans les veines, il vola jusqu’en Australie, pour rejoindre un frère au destin maudit.
La mort était inévitable, et s’insinuait dans tous les recoins de la terre – y compris (et
surtout) en Afrique centrale, où les conflits unilatéraux y raccourcissaient la vie de façon abrupte. Des existences innocentes perdues, des corps entassés, des enfants malades. Ce n’était que la pratique de la théorie – l’action, face à la passivité de l’apprentissage. Il était heureux d’aider ceux qui pouvaient encore être sauvés, de tenir la main à ceux qui pouvaient encore la serrer. Il n’était pas né en connaissant ces espaces tyranniques où la vie était un combat – mais l’expérience acquise des dernières années, ainsi que l’apprentissage quotidien des blessures des autres lui avait raffermi l’esprit. Il n’était pas un homme niais, un homme avec lequel il était possible de jouer. Mais il avait la compassion qu’on ne trouve que chez les gens en ayant le plus besoin. Il pansa ses blessures à travers la gratitude silencieuse des autres.
« Tu ne parles pas ? »C’était une question innocente à laquelle il ne s’attendait pas. Il releva les yeux et tomba amoureux. Une jeune sage-femme posa sa main sur la sienne, et il ne répondit pas à la question. Il parla de ses yeux fatigués, et de ce pays où la vie semblait s’étouffer. De son frère qui lui manquait. De l’insouciance de l’université qui s’absentait. Elle ne le força pas à échanger ce flot d’information, et il l’en remercia silencieusement pour ce geste. Ils étaient complémentaires, d’une certaine manière – elle donnait la vie, il limitait la mort. Les semaines passèrent, et les jours furent moins amers, teintés par la couleur pourpre de l’amour réciproque. Il fut un jour, même, où la canicule africaine s’arrêta un instant, pour laisser éclater un orage fantastique. La soulevant dans ses bras, Micah l’y emmena promptement - et ils s’exaltèrent sous la pluie torrentielle.
« Tu me donnes envie de – de continuer à vivre ainsi, pour toujours. Avec toi. »Il n’avait pas échangé de mots d’amour, et c’était ce qui se rapprochait le plus des affects lui touchant le cœur. Ils échangèrent un baiser passionné, des fiançailles, et – un mariage. Voile blanc, bagues dorées, promesse de paix.
Australie. Retour à des sources aimées : Tweed Heads. Bonheur sous-jacent, et sourire aux lèvres, il était
le médecin généraliste de l’hôpital local,
l’amateur de soirées festives, l’époux amoureux, l’homme accompli à l’histoire passionnée, comme on en voyait quelque uns dans les films. En quelque sorte, tout était vrai. Il passait sa main dans ses cheveux, souriait à pleine dents, attendait de la vie que le meilleur, le plus beau, le plus voluptueux. De ses souffrances passées, il n’avait que les souvenirs. Il y avait certes quelques tensions au sein du foyer, mais celles-ci –
« Docteur Thain, déchirure musculaire de niveau 4 en salle d’attente, je vous envoie la patiente Sheldrick. »Reprenant de sa contenance, Micah sortit de son bureau pour rechercher la jeune blessée des yeux. Deux infirmiers l’emmenaient en direction de la salle de soins, et il leur fit signe de la main, avant de refermer la porte derrière eux. Il abaissa les lumières, et porta son attention à la jeune femme. Dans la civière, il reconnut un visage familier : une athlète native de Tweed Heads. Il lui sourit timidement.
« Bonsoir mademoiselle Sheldrick. Il me semble que je vous connais » commença-t-il, avant de prendre place à ses côtés sur une chaise à la hauteur de son brancard.
« Vous êtes athlète ? »Détourner l’attention du patient de son état – l’inviter à parler. Il savait le faire, et il n’avait pas de difficultés. Mais c’était sa concentration à lui qui était défaillante. Juliet Sheldrick – si belle, si attendrissante. C’était un de ces coups de cœurs incontrôlables qui avaient le don de vous couper le souffle. Toutefois, il n’en montra rien – il se contenta de sentir ses joues rosir. En soulevant le drap blanc qui couvrait ses jambes, il entrouvrit l’attelle de fortune proposée par les urgentistes, et y découvrit un genou gonflé, avec plusieurs hématomes recouvrant la zone.
« Déchirure partielle du muscle iscio-jambier, gonflements bilatéraux… » Il murmurait pour lui-même, ne laissant pas ses yeux voyager vers le reste du corps de la jeune femme. Il n’oserait pas.
« Cela risque de prendre beaucoup de repos pour une guérison complète, je vais me charger de votre certificat une fois les premiers soins effectués. »Il enleva alors l’attelle complètement, et recouvrit son genou d’une lotion opaque. Sa peau était douce. Son genou : un massacre. Il passa une crème non-alcoolisée sur la zone la plus affectées, y posa un bandage temporaire, ainsi qu’une seconde attelle plus large.
« Dormez-bien, mademoiselle Sheldrick. Je vais vous donner un sédatif pour la nuit. »Ses mains tremblèrent légèrement.
« Micah… »« Laisse tomber. C'est pas important. »Silence, absence. Aucun mot prononcé, conflits indéchiffrables, disputes cryptiques. Les journées s’éternisaient au sein du foyer. Micah avait le désespoir au cœur. Les sourcils froncés, il se tourna en direction de son épouse. Il y avait tant de choses à dire – mais le gouffre s’élargissait au fil du temps. Il la trouvait toujours aussi belle - sauf qu'il était, depuis longtemps, un
spectateur. Il l’observa se mouvoir en sa direction, tentant de faire quoi que ce soit pour calmer les tensions. Ou du moins provoquer une réaction, lorsqu’il y avait conflit. Ce soir-là, elle y parvint.
« Arrêtons de nous disputer pour des bêtises. J’ai bien réfléchi, et je pense qu’il faut arrêter d’y penser. »Penser. Penser à quoi ? Il n’avait que sa patiente d’un jour en tête, et le lendemain chargé à l’esprit. Il secoua la tête. Non, il n'y penserait plus. Peu importe les disputes - il n'avait pas l'esprit à -
« Micah, j’aimerais avoir un enfant. »L’intéressé se retourna. Mais, encore une fois, il ne trouva pas les mots.
Un enfant ?